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MARTIN GRIFFITHS, LE PREMIER DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’INSTITUT EUROPÉEN POUR LA PAIX, ÉVOQUE COMMENT LE SPORT PEUT, DE FAÇON UNIQUE, ABATTRE LES BARRIÈRES ET PROMOUVOIR LA PAIX.AU-DELÀ DES ANNEAUX MAINTIEN DE LA PAIX ET POUVOIR DU SPORT De nos jours, le sport est l’un des moyens les plus efficaces (et les moins onéreux) de promouvoir la paix et le développement durable. Il trans-cende les différences, religions, sexes, races ou nationalités... Un seul ballon de football peut rassembler 22 personnes qui, ensemble, accepteront les mêmes règles et résultats. De la même façon, la médiation a pour fonction d’inciter les protagonistes d’un conflit à respecter les règles et les résultats. Sport et médiation abattent tous deux les barrières, encou-ragent la coopération, ce qui, lorsque c’est réussi, délimite un espace inclusif et paci-fique qui n’est lié ni à la religion, ni à la politique, ni à aucun autre intérêt national. Toutefois, tel n’est pas toujours le cas et il est important de ne pas l’oublier. À l’époque moderne, le sport s’est transfor-mé. Jusqu’alors réservé aux rois, il est devenu le privilège de tous. La tradition olympique a été étendue pour s’adresser à la société dans son ensemble, et ce sans rabaisser le niveau sportif et notam-ment notre perception de ce que peut endurer et accomplir le corps humain. Celui-ci a été poussé au-delà de limites que les athlètes de haut niveau d’autrefois n’auraient jamais cru possible d’atteindre. Le maintien de la paix au XXe siècle relevait du domaine des diplomates. Les traités qui mettaient fin aux guerres étaient historiquement signés dans les anti-chambres des palaces européens. En bien ou en mal, ces traités touchaient tout le monde. Désormais, on peut se montrer beaucoup plus ambitieux. La paix ne se fait plus dans les couloirs à Genève. Les traités peuvent bien y être rédigés, mais le peuple a le droit de faire connaître le type de paix qu’il souhaite. Dans ma vie, j’ai pris part à de nombreux processus de paix. L’une des grandes leçons que j’ai apprises de chacune de ces expériences, c’est que les solutions peuvent surgir des sources les plus étranges, et du sport notamment. Démocratiser la paix non seulement peut conduire à exiger une paix meilleure, mais cela peut aussi signi-fier la formulation d’idées sur la manière d’y parvenir. Ainsi, en 1969, Pelé a joué un match au Nigéria qui a fait cesser la guerre au Biafra durant 48 heures. En 2005, un autre footballeur, Didier Drogba, a imploré les factions en guerre d’arrêter les com-bats dans sa Côte d’Ivoire natale. Drogba est parvenu à toucher les protagonistes et ceux mêmes qui étaient touchés par le conflit. Pour ranimer le processus de paix, il a su mettre sa stature et sa popula-rité dans la balance, et en a appelé aux politiciens, aux factions en guerre et au peuple ivoirien. Médiateur hors pair, Drogba est devenu un agent de la paix, se révélant finalement aussi performant que peut souhaiter l’être n’importe quel représentant spécial des Nations Unies. Curieusement, les parties en présence ont écouté, ce qui a amené à une paix fragile en 2007. Cette année-là, pour réduire les tensions, l’équipe nationale de football a joué un match dans la capitale rebelle de Bouaké et pour la première fois les deux armées se sont rencontrées en paix. Parvenir à une aussi vaste mobilisation dans un pays en quête de paix, tel est le pouvoir du sport. Les bénéfices du sport semblent ne pas cesser. En fait, ils continuent de croître avec les nouvelles préoccupations de chacun d’entre nous. Nous aimons tous le sport, même ceux qui le regardent distraitement. C’est une activité universelle qui nous unit avec la discipline qu’il exige et les performances qu’il autorise. Ci-dessous: un fan lors du match de football historique entre la Côte d’Ivoire et Madagascar en 2007.Le maintien de la paix ne peut prétendre à un tel succès, mais il peut être une source d’inspiration pour une vision commune. Pour faire la paix, nous savons à présent que nous avons besoin de l’esprit créatif d’individus et du soutien de l’opinion publique. Ce n’est pas très différent de la tradition olympique. Mon rêve, c’est que les performances sportives incitent ceux d’entre nous qui prennent part à la cessation et à la prévention des guerres, à faire l’effort supplémentaire. En faire plus et emmener les peuples avec nous. En tant que médiateurs, nous espérons faire entendre la clameur des foules dans les couloirs de Genève, là où les diplomates rédigent les traités et où la paix prend son essor. ■Martin Griffiths est le fondateur du plus vaste centre de médiation privé des conflits armés, le Centre pour le dialogue humanitaire à Genève. Il est le premier directeur général de l’Institut européen pour la paix. Avant de devenir un médiateur, il était cadre supérieur humanitaire des Nations Unies.26 REVUE OLYMPIQUE OPINION